Cuisine, Art, Politique et Compagnie Art – Culture Créations en photos et / ou textuelles [Histoire poétique] Au cours de l’année 2023, quelques vers par jour Répondre à : [Histoire poétique] Au cours de l’année 2023, quelques vers par jour

#397
Pascal LamachèrePascal Lamachère
Maître des clés

    Il nous invita à nous asseoir sur un banc qu’il fit apparaître sur une paroi près de la cabine à ondes rouges et nous amena deux tablettes pour nous permettre de nous rafraîchir la mémoire sur cette époque d’ébullition française.

    Œil de jour : « Je vais préparer une cabine cloche, je vous laisse étudier et réfléchir,
    quand vous serez prêts, vous n’aurez qu’à appuyer sur le bouton du milieu,
    parmi les boutons du bas de la tablette, et j’arriverai pour vous y conduire,
    après un détour dans la cabine blanche afin de vous vêtir d’une tenue adaptée à l’époque et le lieu. »

    Nous nous appliquâmes à la tâche. Œil d’aigle écouta une conférence d’Henri Guillemin sur cette période pendant que je parcourus des fiches sur de ses personnalités et un texte de constitution. Une fois fait, nous hésitâmes quant à la façon de procéder.

    Œil d’aigle : « Même si on pourrait considérer l’utilité de déposer des graines à germer, un souffle d’espoir
    d’agir sur plusieurs périodes, si nous remontons trop loin, nos efforts seront égrainés,
    et même si nous étions tous les habitants de la cloche urbaine à être prêt et pouvoir y aller,
    je ne suis pas certaine que nous pourrions y influencer suffisamment le cours de l’Histoire. »

    Moi : « Oui, tu me fais penser que je serais bien allé à la rencontre de Thomas More, l’auteur d’Utopia,
    par curiosité et aussi essayer de réfléchir avec lui comment le populariser et lancer des communautés
    qui appliqueraient ses principes, si ce n’est qu’au fil du temps il y aurait probablement perte de foi,
    difficulté de perpétuer, tels que pour certains idéaux, certaines religions, des spiritualités sacrées.
    Bon, nous pourrions essayer… »

    Œil d’aigle : « Nous pourrions essayer, nous pourrons essayer, peut-être avant voir ce qu’on peut réussir à faire
    par des voyages de réincarnation, dans la cabine rouge, à une ou époques charnières ?
    Car si on pourrait alterner, il a laissé entendre un souci de ressources.
    Peut-être lui demander avant de décider, de confirmer cette histoire de ressources ? »

    J’acquiesçai, Œil d’aigle appuya sur le bouton et Œil de jour ne tarda pas à arriver. Il nous expliqua que nous pourrions alterner les façons de voyager dans le temps tout en confirmant qu’il valait mieux d’abord explorer nos vies antérieures si nous pensons pouvoir y impulser des changements, du fait de leurs limites, du fait du fonctionnement, de ce qui était nécessaire pour passer par un trou noir pour sortir par un trou blanc pour voyager en corps puis qu’il fallait y revenir pour voyager autrement.

    Œil d’aigle : « Dans ce cas, nous serions tentés de retenter lors de la même vie antérieure que le précédent essai.
    Même si pour une révolution systémique il faudrait suffisamment de personnes, qu’il y aurait urgence,
    nous pouvons toujours essayer d’en convaincre par les réseaux, de diversifier les façons de militer,
    et puis nous essayerons une précédente, puis une précédente, d’impulser à l’avance des quêtes de sens ? »

    J’acquiesçai derechef. Œil de jour rerégla la cabine rouge dans laquelle nous entrâmes.

    Quand je fus conscient d’être présent dans l’existence, rouvris les « yeux de ma conscience », j’étais seul devant l’écran d’un ordinateur, sans Œil d’aigle à mes côtés, à lire un article d’un militant anglophone, pestant quelque peu face à de ses propos que je considérais de l’ordre du troll, du « mal pansé ». Il commentait un article informant sur la découverte de « Plus de 100 enfants employés illégalement par une entreprise américaine de nettoyage d’abattoirs ». Je pris mon clavier à deux mains pour exprimer de mon avis, le contredire, dans une discussion quasi instantanée du fait de sa réactivité.

    Moi : « Je comprends votre intention d’appuyer sur le souci systémique,
    mais vous êtes au courant que des employés adultes dans ce genre de lieu
    c’est aussi regrettable, que ne pas le dénoncer reflète un certain manque d’éthique ? »

    Lui : « Peu importe votre morale, l’économie de marché est responsable en premier lieu,
    et il est compliqué, voire impossible, pour le moment, de faire sans le jeu économique,
    et nous y sommes tous des criminels, d’une manière ou d’une autre, à un certain niveau. »

    Moi : « Comme écrit, je comprends que vous considériez le souci d’un point de vue plus ou moins holistique,
    mais vous vous mentez à vous-même. Pour rassurer votre mauvaise conscience ? Vous en rajoutez des maux.
    Pour info, des anciens travailleurs d’abattoirs, de boucherie, d’élevage, se sont reconvertis,
    ils ont changé de métier et de régime, sont devenus végans, végétalien, et ils ont témoignés de l’horreur de leur ancienne vie,
    il doit aussi y avoir ce genre de témoignage, de livre en anglais, si vous avez du mal avec le français. »

    Lui : « Ne vous mentez-vous pas à vous même ? Si vous considérez le cause à effets, c’est des effets. »

    Moi : « Pas vraiment. Pour le dire autrement, cela ne devrait pas être une raison pour juste dénoncer
    le souci systémique sans évoquer la possibilité de fermer les abattoirs, d’évoquer les cas particuliers
    qui infirment votre propos. Car certains sont hors système, font à leur niveau sans argent, tout en étant végan. »

    Lui : « Tant mieux pour eux, mais il faudrait pouvoir changer le système en priorité,
    et le véganisme c’est surtout les riches, les aisés qui peuvent se le permettre, s’alimenter autrement. ».

    Moi : « Certes pour la priorité, mais c’est pas une raison suffisante pour ne pas évoquer du véganisme l’intérêt,
    et sur ce coup, vous préjugez, par manque de connaissances sociologiques sur ce genre de sujet ?
    Et si j’ignore peut-être certaines… difficultés dans certains pays, il n’en reste pas moins que vous avez tort, que c’est une fausseté.
    Et si vous seriez tentés, êtes tentés de reprocher à des végans, du problème systémique, de ne pas se soucier,
    vous pouvez le faire sans renier l’intérêt de l’alimentation végane, tout en abordant le souci pour les animaux.
    Ainsi, je vous invite à vous informer sur la philosophie antispéciste, qui est normalement une pensée systémique, et vous laisse avec ces quelques mots : »

    « Dans le cadre de votre enquête, avez-vous pu confirmer l’idée, très répandue, que les partisans de la cause animale sont économiquement privilégiés ?

    C’est tout à fait faux. Pour mieux connaître ce milieu, j’ai pratiqué l’observation participante : la plupart des militants rencontrés vivent très modestement, souvent au RSA, et sont parfois en rupture avec la société. Je me souviens notamment d’une jeune femme d’une vingtaine d’années qui ne pouvait venir à une action prévue à Paris le 1er novembre 2018 — il s’agissait, le jour des morts, de présenter en silence des affiches révélant ce qui se passe dans les abattoirs sur une place parisienne emblématique — car elle n’avait pas les moyens de prendre un train de banlieue. Il y a aussi le mouvement « freegan » qui prône le véganisme en récupérant les invendus des marchés et supermarchés dans les poubelles. Ces militants ne viennent généralement pas du tout des classes aisées. Bon nombre de militants vivent sur des refuges qu’ils ont créés en pleine campagne pour les animaux qu’ils ont « sauvés » (ou « volés », selon la perspective), dans les abattoirs ou dans les élevages. Il y a aussi bien sûr des militants de type « universitaire », dont je fais partie, relevant d’une sociologie propre aux milieux qui permettent de faire de longues études, donc plutôt aisés. Mais ces universitaires font partie de ce milieu car ils sont universitaires, et non en raison de leur antispécisme, souvent tardif. »

    Extrait de :  Jérôme Segal : « Qui sont les animaux ? » : https://www.revue-ballast.fr/jerome-segal-qui-sont-les-animaux/

    J’arrêtai là la conversation écrite, fermai le navigateur et regardai par la fenêtre de la pièce bureau où j’étais, me demandant où était Œil d’aigle à cet instant, et ce qu’elle faisait.